" Par ailleurs, le propre de la race ou du racisme est de toujours susciter ou engendrer un double, un substitut, un équivalent, un masque, un simulacre.Un visage humain authentique est convoqué à la vue. Le travail du racisme consiste à le reléguer à l’arrière-fond ou à le recouvrir d’un voile. À la place de ce visage, l’on fait remonter des profondeurs de l’imagination un fantôme de visage, un simulacre de visage, voire une silhouette qui, ce faisant, prennent la place d’un corps et d’un visage d’homme. Le racisme consiste dès lors, avant tout, à substituer à cela qui est quelque chose d’autre, une autre réalité. Puissance de détournement du réel et fixateur d’affects, il est également une forme de dérangement psychique, ce par quoi le matériel refoulé remonte brutalement à la surface. Pour le raciste, voir un Nègre, c’est ne pas voir qu’il n’est pas là ; qu’il n’existe pas ; qu’il n’est que le point de fixation pathologique d’une absence de relation. La race, il nous faut donc la considérer comme étant à la fois un en deçà et un au-delà de l’être. Elle est une opération de l’imaginaire, le lieu de la rencontre avec la part d’ombre et les régions obscures de l’inconscient. "
"Pour le reste, le racisme et la phobie des autres sont des phénomènes largement partagés. La logique raciste suppose un fort degré de bassesse et de stupidité. Comme l’indiquait Georges Bataille, elle implique également une forme de lâcheté – celle de l’homme qui « donne à quelque signe extérieur une valeur qui n’a d’autres sens que ses craintes, sa mauvaise conscience et le besoin de charger d’autres, dans la haine, d’un poids d’horreur inhérent à notre condition » ; les hommes, ajoutait-il, « haïssent, autant qu’il semble, dans la mesure où ils sont eux-mêmes haïssables ."( Georges BATAILLE, Œuvres complètes. XII, Articles 2. 1950-1961)
" Le projet d’un monde commun fondé sur le principe de l’« égalité des parts » et sur celui de l’unité fondamentale du genre humain est un projet universel. Ce monde-à-venir, on peut déjà, si on le voulait, en lire des signes (fragiles il est vrai) dans le présent. L’exclusion, la discrimination et la sélection au nom de la race demeurent par ailleurs des facteurs structurants – bien que souvent niés – de l’inégalité, de l’absence de droits et de la domination contemporaine y compris dans nos démocraties. De plus, on ne peut pas faire comme si l’esclavage et la colonisation n’avaient pas eu lieu ou comme si les héritages de cette triste époque avaient été totalement liquidés. À titre d’exemple, la transformation de l’Europe en « forteresse » et les législations anti-étrangers dont s’est doté le Vieux Continent en ce début de siècle plongent leurs racines dans une idéologie de la sélection entre différentes espèces humaines que l’on s’efforce tant bien que mal de masquer."
" Sur ce chemin, les nouveaux « damnés de la terre » sont ceux à qui est refusé le droit d’avoir des droits, ceux dont on estime qu’ils ne doivent pas bouger, ceux qui sont condamnés à vivre dans toutes sortes de structures d’enfermement – les camps, les centres de transit, les mille lieux de détention qui parsèment nos espaces juridiques et policiers. Ce sont les refoulés, les déportés, les expulsés, les clandestins et autres « sans-papiers » – ces intrus et ces rebuts de notre humanité dont nous avons hâte de nous débarrasser parce que nous estimons qu’entre eux et nous il n’y a rien qui vaille la peine d’être sauvé puisqu’ils nuisent fondamentalement à notre vie, à notre santé et à notre bien-être. Les nouveaux « damnés de la terre » sont le résultat d’un brutal travail de contrôle et de sélection dont les fondements raciaux sont bien connus. "
"C’est donc l’humanité tout entière qui confère au monde son nom. En conférant son nom au monde, elle se délègue en lui et reçoit de lui confirmation de sa position propre, singulière mais fragile, vulnérable et partielle, du moins au regard des autres forces de l’univers – les animaux et les végétaux, les objets, les molécules, les divinités, les techniques, les matériaux, la terre qui tremble, les volcans qui s’allument, les vents et les tempêtes, les eaux qui montent, le soleil qui éclate et brûle et ainsi de suite. Il n'y a donc de monde que par nomination, délégation, mutualité et récipricité.
Mais si l’humanité tout entière se délègue elle-même dans le monde et reçoit de ce dernier confirmation de son être propre aussi bien que de sa fragilité, alors la différence entre le monde des humains et le monde des non-humains n’est plus une différence d’ordre externe. En s’opposant au monde des non-humains, l’humanité s’oppose à elle-même. Car, finalement, c’est dans la relation que nous entretenons avec l’ensemble du vivant que se manifeste, en dernière instance, la vérité de ce que nous sommes."
"Mais, comme on le voit dans une partie de la critique nègre moderne, la proclamation de la différence n’est qu’un moment d’un projet plus large – le projet d’un monde qui vient, d’un monde en avant de nous, dont la destination est universelle, un monde débarrassé du fardeau de la race, et du ressentiment et du désir de vengeance qu’appelle toute situation de racisme. "